Exposition - Morgane Ely « Pink Spring »
Exposition de Morgane Ely, lauréate du prix Villa Noailles des Révélations Emerige 2023, composée de 29 gravures sur bois et d'un diorama.
Du 06/12/2024 au 02/02/2025
Ouverture le mercredi, jeudi, vendredi et samedi de 11h à 17h. Le dimanche de 11h à 13h.
Fermé lundi et mardi.
Attention : interdit aux moins de 18 ans.
Entrée libre.
69 cours Lafayette - 83000 Toulon
Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2021, Morgane Ely effectue durant son cursus un échange à la Musashino Art University de Tokyo au Japon où elle apprend la technique de gravure
sur bois issue de l’estampe traditionnelle japonaise, qu’elle emploie dans la réalisation de ses œuvres.
L'exposition à l'ancien Évêché a été réalisée durant sa résidence à la villa Noailles à Hyères (juillet, août et novembre 2024).
Les murs noirs d’une ambiance intimiste nous dévoilent des portraits de jeunes femmes en proie aux plaisirs de la chair telles les premières fleurs du printemps sur le point d’éclore. Mêlant érotisme et luxure, ces images issues de binibon (ビニぼん), magazines érotiques japonais, dressent un portrait de la femme japonaise fantasmée.
Morgane Ely réactive une ancienne tradition, celle des shunga (春画), estampes à caractère pornographique mettant en scène les plaisirs des corps, datant de la période d’Edo (1603 à 1868). Jusqu’à cette époque, l’érotisme au Japon n’est pas transgressif et il n’y a jamais eu dans l’inconscient collectif japonais de tabou lié au sexe. Mais lors du passage à l'ère Meiji (à partir de 1868), l’arrivée des occidentaux - outrés par tant de désinvolture - bouscule considérablement le rapport à la nudité et au sexe. Le modèle occidental puritain s’impose, le Japon subit une répression sexuelle accrue et voit apparaître une violente censure des shunga.
Cette influence occidentale qui a profondément impacté les mœurs se ressent toujours et bien que le Japon connaisse une industrie de la pornographie particulièrement florissante
et imaginative, elle y est paradoxalement toujours très censurée : les sexes ne doivent jamais être visible. Si l’on observe bien les portraits présentés ici, les sexes y sont en effet floutés.
Dans sa pratique, Morgane Ely se réapproprie des images principalement issues d’internet de figures féminines qu’elle érige en icône féministes. Elle détourne la technique de l’estampe traditionnelle japonaise en présentant ses matrices en bois rose gravées puis encrées. Permettant initialement des impressions en multiple, elles ne sont plus destinées à imprimer et en deviennent ainsi l'œuvre unique. Une pratique traditionnellement rigoureuse et codifiée dans les gestes, comme dans les sujets, que Morgane Ely se réapproprie. Elle emploie alors ces images érotiques populaires, telles des orion d’une nouvelle ère (orion (花魁) “premières fleurs”, désigne les courtisanes de l’époque d’Edo).
Les binidon sont eux-mêmes une réappropriation des magazines occidentaux à destination des hommes. Les photographies que l’on retrouve à l’intérieur convoquent un double regard masculin : ces femmes sont en effet perçues à travers le regard masculin
japonais lui-même influencé par le regard de l’homme occidental. Durant des décennies, la censure et le diktat masculin eurent un tel impact qu’implicitement il n'était pas convenu pour les femmes d’assumer leur sexualité et elles affichaient des postures davantage passives et soumises. Parmi ces figures lassives, une jeune femme montrant impudiquement les poils de ses aisselles attire l’attention. Il s’agit de Kaoru Kuroki, actrice pornographique japonaise célèbre pour sa liberté sexuelle qu’elle revendique fièrement lors d’apparitions télévisées, à une époque où les représentations de la femme dans la pornographie revêtent un caractère particulièrement sexiste. Au Japon les aisselles sont
une évocation du sexe feminin : les sexes étant obligatoirement censurés, montrer ses aisselles est une manière provocante et détournée de contourner cette censure par le pouvoir de la suggestion. Kaoru Kuroki s’est alors imposée en véritable figure feministe, Toru Muranishi, réalisateur de films pornographiques, dira d’elle « c’est plusieurs siècles de féminisme et d’émancipation au Japon qui ont été propulsés par l’effort d’une seule personne ».
Au fond de la pièce s'offre à la vue du spectateur, sans qu'il puisse y pénétrer, un diorama à l'échelle une. À travers un voile rose, on observe un atelier d'impression, témoin du mode de vie de l’artiste à l’atelier. On distingue les outils traditionnels d’impression, des
objets du quotidien et personnels dont on suppose appartenir à Morgane Ely, ainsi que des traces de la vie à l’atelier, comme mis à nu, nous laissant entrevoir les déchets apparents et le désordre. S'agit-il alors de l’atelier imaginaire de l’artiste, un espace
hybride, où l’intime vient s'immiscer ? Alors que des shunga et des binibon jonchent le sol, on devine aux murs, presque effacés, des dessins provenant de flyers proposant les services d’escortes, distribués la nuit dans le quartier « rose » de Kabukicho à Tokyo. La
présence d’objets quelque peu clichés de la culture japonaise, fait sans doute allusion à la notion de japonisme - courant artistique du XIXe siècle caractérisé par l’appropriation de l’esthétique japonaise par des artistes occidentaux, aujourd’hui contesté pour son caractère appropriationniste. Des éventails, un service à thé ou encore des verres à saké nous évoquent en effet le fantasme du japon dans le regard de l’occident. Le verre à saké semble en particulier choisi par l’artiste comme un indice dans un jeu des sept erreurs : ce petit verre - pervers - révélant une femme nue une fois rempli d’alcool n’a rien de japonais. Objet star des restaurants asiatiques avec buffets à volonté, il a été inventé afin de satisfaire le fantasme des occidentaux, à la fin d’un repas où sushis et porc laqué se côtoient sans distinction apparente. Il serait alors nécessaire de regarder cette scène à travers le voile de la fascination telle la vision gorgée de saké, laissant entrevoir une
image pornographique.
Morgane Ely offre au spectateur la possibilité d’entrevoir son processus de création en matérialisant ses inspirations et ses questionnements dans un atelier fictif. Au sein de cet espace fantasmé, elle se moque des clichés sexistes en se réappropriant une imagerie traditionnellement créée par les hommes, pour les hommes.
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